Services publics ou services au public ?
Petites histoires d’eaux et d’ordures ménagères qui pèsent lourd sur les porte-monnaies les moins garnis.
Jacques DELAVEAU est président du Mouvement de Sauvegarde, de Promotion et de Démocratisation des Services Publics en Sud-Gironde. Il est aussi membre de l’AGAUREPS-Prométhée.
▲ Une première approche
Les services au public peuvent être fournis par des Services Publics ou des entreprises privées. On dit que les usagers ont accès aux Services publics et que les clients font appel aux services d’une entreprise privée.
Que se cache-t-il derrière cette différence sémantique ?
Pour réaliser les Services Publics on fait appel au principe de solidarité financée par l’impôt, dans l’autre cas, aux lois régissant le marché (concurrence, compétitivité, rentabilité…).
Pour illustrer, prenons le cas d’un vendeur de pizza qui assure un service au public et non un service public; car quel que soit votre revenu, le nombre de vos enfants, etc…, vous payez la pizza le même prix. Cette somme permet au restaurateur de payer ses remboursements d’emprunts, la marchandise et le personnel, son bénéfice… C’est un rapport marchand qui existe entre vous et le vendeur de pizza. Vous êtes un client.
Le terme Service Public englobe des réalités fort disparates. Il existe des Services Publics nationaux, des entreprises publiques nationales (presque toutes sont privatisées) qui assumaient des missions de services publics et des services communaux, départementaux et régionaux.
Nous allons montrer en quoi les services assumés par les collectivités territoriales ne répondent pas au critère de solidarité fondateur des Services Publics. Nous montrerons aussi que la décentralisation sans modification fondamentale de la fiscalité participe à la progression de l’injustice sociale.
▲ Quelques principes fondateurs des Services Publics
En quoi un Service Public est-il différent d’une entreprise de service ?
Le financement de l’investissement et parfois du fonctionnement sont réalisés par l’impôt (Education Nationale, Police Nationale, Armées, routes…). Ils sont présents sur l’ensemble du territoire et tout le monde y a accès dans les mêmes conditions.
Pourquoi certaines activités doivent-elles être ou devraient-elles être assurées en respectant les principes des Services Publics ?
- soit parce qu’elles assument des besoins vitaux pour l’ensemble des citoyens sur tout le territoire (eau, logement, éducation, sécurité, énergie, courrier, transports…).
- soit parce que les prestations (assainissement, ordures ménagères) sont rendues obligatoires par la puissance publique et par la même la facturation, et cela sans concurrence, en raison de l’intérêt général. Par exemple, le non recours à ces prestations aurait des impacts négatifs sur la santé publique ou sur l’équilibre écologique. On peut déjà remarquer la différence avec le fait d’acheter une pizza, non obligatoire, avec concurrents.
- soit parce que certaines activités d’intérêt général doivent être tenues à l’écart des lois du marché. En effet ces lois « ne connaissent » et ne « répondront » aux besoins de l’intérêt général. Que signifie concurrence et compétitivité quand quelqu’un est malade ou quand il faut par exemple distribuer le courrier sur l’ensemble du territoire ?
- soit parce qu’on désire assurer la continuité territoriale et sa cohésion. C’est pour cela que la puissance publique avait conféré aux Services Publics un monopole qui leur permettait d’appliquer la péréquation sur les services rendus (même prix du kWh d’électricité quel que soit le lieu, alors que si vous êtes près d’une centrale électrique la fourniture du KWH revient moins cher que si vous êtes loin. Certains payent le KWH plus cher qu’il ne revient alors que d’autres le payent moins cher qu’il ne revient).
▲ Quelques mesures de sape des Services Publics en œuvre depuis de nombreuses années
Remise en cause du principe garantissant le financement des Services Publics, c’est-à-dire « Celui qui peut le plus participe le plus à travers l’impôt sur le revenu, sur la fortune ou sur les sociétés et tout un chacun a accès aux prestations ». (Diminution de l’impôt sur les hauts revenus, sur la fortune et sur les sociétés. Après les niches fiscales, ils ont inventé le bouclier fiscal. Pendant ce temps là, la TVA et les taxes qui sont payées par tout le monde ne diminuent pas et les impôts locaux augmentent.)
Mise en concurrence déloyale avec des entreprises privées et leurs actionnaires, le privé ne prenant en charge que les marchés les plus juteux, les Services Publics ayant l’obligation d’assumer les missions coûteuses.
Mise en place concomitante dès 1977 et prorogée par tous les gouvernements, de la baisse de l’aide de la collectivité nationale (au travers de subventions ou de prêts de longue durée à faible taux) aux organismes publics d’HLM et exonération d’impôt pour les propriétaires loueurs privés qui ne se gênent pas pour faire rendre gorge aux locataires. L’APL (aide personnalisée au logement) n’est qu’un instrument de ségrégation sociale et d’inflation du prix des loyers. Seules les familles à faible revenu ont pu en bénéficier, les autres ont fui les HLM et ont dû faire construire ou se sont retrouvés locataires dans les griffes des spéculateurs privés.
Transfert des charges financières aux communes, aux départements et aux régions des écoles primaires et maternelles, des collèges et des lycées. Il ne faut pas oublier que les impôts locaux sont indépendants des revenus et donc ne respectent pas le principe de solidarité.
Instauration du péage (antisocial car le montant ne dépend pas du revenu) pour accéder aux autoroutes alors que l’état des routes et un trafic pléthorique rendent obligatoire l’utilisation des autoroutes (un boycott de celles-ci le montrerait). Au lieu de rendre les autoroutes gratuites et de les réinsérer dans le Service Public, le gouvernement actuel les privatise, permettant aux actionnaires de nous racketter. Il serait temps de diminuer le trafic routier.
▲ Et au niveau local que se passe-t-il ?
La législation qui impose que les services de l’eau, de l’assainissement et des ordures ménagères s’autofinancent a sonné l’arrêt de mort de ces services en tant que Services Publics. La plupart des syndicats intercommunaux d’eau et d’assainissement ont imposé aux consommateurs (qu’ils soient propriétaires ou locataires) le remboursement des emprunts proportionnellement au nombre de m3 consommé. Cela entraîne que c’est le locataire qui finance l’augmentation de la valeur du logement (c’est-à-dire du capital immobilier du propriétaire) et qu’une famille nombreuse locataire à petit revenu participe beaucoup plus qu’un couple de cadres qui est propriétaire.
Dans ces conditions il faut arrêter de parler de Service Public. En effet les syndicats intercommunaux fournissent un service au public avec les mêmes critères que le vendeur de pizza. Il en est ainsi, que le fonctionnement du service soit assuré par une régie ou par un fermier (le fermage provoquant certes une augmentation du prix ; il faut bien engraisser les actionnaires !). Face à cette situation il faut que les élus locaux concernés cessent de nous parler de justice sociale.
Nous avons la même injustice sociale à l’œuvre pour le service des ordures ménagères, que ce soit la redevance (dépendant du nombre de personnes) ou la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (dépendant de la valeur locative du logement) qui s’appliquent, car dans un cas comme dans l’autre le montant total de la facture est indépendant des revenus. Lorsque c’est la redevance qui s’applique l’injustice est encore plus criante car c’est encore une fois les familles nombreuses (quelque soit leur revenu) qui participent le plus au remboursement des investissement et aux frais occasionnés par le fonctionnement.
Si la logique de la redevance était appliquée à l’école seuls les parents d’élèves participeraient au financement (investissement et fonctionnement) de la scolarité des enfants. Heureusement qu’on n’en n’est pas encore arrivé à ce stade car seuls les riches pourraient scolariser leurs enfants (des menaces planent venant de l’AGCS, des libéraux et de Le Pen).
Les promoteurs des services publics authentiques doivent défendre l’égalité d’accès aux Services Publics (tout le monde y a accès et chacun participe selon ses moyens) et se garder de l’équité (chacun participe selon sa consommation de service) et de l’égalitarisme (les riches payent et seuls les pauvres ont accès aux Services Publics).
▲ Que faire concernant l’eau, l’assainissement et les ordures ménagères ?
Le gouvernement menant une politique antisociale dans tous les domaines, il est de la responsabilité historique des élus locaux de faire en sorte que les services dépendant de leurs responsabilités soient gérés avec des critères se rapprochant de ceux des Services Publics authentiques, basés sur la solidarité sociale et territoriale.
Il est nécessaire qu’un fort mouvement populaire dans lequel les élus locaux auront toute leur place intervienne pour exiger la mise en place d’un véritable Service Public au niveau départemental voire régional de l’eau et de l’assainissement. Il est aberrant de laisser entre les mains des multinationales, dont le seul objectif est de faire des bénéfices, un bien public aussi précieux que l’eau.
Il est indispensable que ce mouvement exige qu’une loi soit votée pour imposer la prise en charge par l’impôt des investissements et des remboursements d’emprunts concernant les réseaux d’eaux et d’assainissement ainsi que ceux du service des ordures ménagères, la partie fonctionnement et consommation restant à la charge des consommateurs. Il faudra d’autre part veiller à ce qu’un tarif incitatif (au delà d’un certain seuil de consommation dépendant du nombre d’occupants, le prix du m3 augmenterait) soit mis en place pour éviter les gaspillages.
Il devient indispensable d’imposer de fortes amendes aux grandes surfaces qui pratiquent une publicité outrancière (les feuilles de pub partent à la poubelle) et qui utilisent des emballages non recyclables (polystyrène). (Il n’y a pas que les sacs de caisse qui polluent Monsieur Leclerc).
Il est urgent que ce même mouvement exige une promotion des Services Publics tant au niveau national qu’au niveau européen. Le caractère redistributif de la fiscalité doit être maintenu, voire développé, pour éviter des transferts de charges du contribuable vers l’usager qui se mute en consommateur. Bien sûr cela nécessite l’arrêt de la baisse des impôts sur les revenus, sur la fortune et sur les sociétés et une uniformisation par le haut, au niveau européen. Une baisse de ces impôts entraîne automatiquement une augmentation du coût du service pour le consommateur et une augmentation des impôts locaux (communes, départements et régions) socialement injustes car ne dépendant pas des revenus.
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Pour conclure, on peut affirmer que la décentralisation telle qu’elle est mise en place depuis de nombreuses années est une arme contre le principe de solidarité puisque les plus riches voient leurs impôts prélevés par l’Etat diminuer alors que l’ensemble des habitants voient leurs impôts locaux socialement injustes augmenter du fait du désengagement financier de l’Etat. Nous pourrions d’autre part nous inspirer de la mesure prise par le Mali qui a renationalisé le service d’eau précédemment concédé à une transnationale sous la pression du FMI.
Jacques DELAVEAU
Membre de l’AGAUREPS-Prométhée
(Association pour la Gauche Républicaine et Sociale – Prométhée)
Mai 2006